mardi 4 mai 2010

DSK s'est-il disqualifié pour représenter les socialistes?


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  • Pour l'heure les socialistes français font mine de ne pas le comprendre mais il n'est pas besoin d'être grand clerc pour le deviner: l'engagement d'un des leurs, Dominique Strauss-Kahn, patron du Fonds monétaire international (FMI), dans la mise au point, en association avec la Commission européenne, du plan d'austérité qui va être imposé à la Grèce, un des plus violents qu'ait connu un pays européen depuis l'après-guerre, risque de peser lourdement sur leurs débats internes en prévision de l'élection présidentielle de 2012. Compte tenu du rôle qu'il joue actuellement, DSK peut-il encore prétendre, le moment venu, être candidat à la candidature pour représenter la gauche française à ce scrutin? Ou bien s'est-il disqualifié? L'interpellation est aujourd'hui taboue dans les rangs socialistes, mais le PS prendrait un gros risque à l'éluder, lui qui cherche à convaincre l'opinion de son nouvel ancrage à gauche.

    «FMI: go home!» Le slogan, en tout cas, est de plus en plus populaire en Grèce. On l'entend dans les manifestations contre le plan d'austérité, comme on le lit sur les banderoles ou les calicots de ceux qui descendent dans la rue. Ce qui se comprend aisément. Comme l'a détaillé Mediapart dans ses dernières analyses (lire en particulier Grèce: un plan socialement injuste et économiquement dangereux), c'est en effet un plan très violent que le FMI et la Commission européenne ont mis au point. Alors que Dominique Strauss-Kahn a souvent cherché à défendre l'idée que sous sa présidence le FMI avait fait peau neuve et qu'il n'appliquait pas les plans de redressement sanglants des décennies antérieures, le dispositif grec fonctionne comme une épreuve de vérité: le FMI est resté tel qu'en lui-même, brutal et sans états d'âme, usant de toutes les vieilles ficelles ultra-libérales pour mettre au pas le pays.

    Réduction de dépenses d'investissement, démantèlement des systèmes de protection sociale, réformes des procédures de licenciement, gels de salaires, réforme des retraites, privatisation: ce qui va être appliqué à la Grèce, c'est la purge amère qui a été infligée dans le passé à de nombreux pays pauvres, en Afrique comme en Amérique du Sud. Où est le socialisme dans tout cela? C'est le grand retour des «Chicago boys».

    Ce rôle de Dominique Strauss-Kahn, les socialistes le connaissent mais ne veulent pas, pour l'instant, en parler publiquement. Lors de son point de presse hebdomadaire, lundi 3 mai, le porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon, a donc tenté l'exercice périlleux consistant à dénoncer le plan d'austérité grec, tout en omettant d'en attribuer la paternité partielle à qui de droit: DSK.

    Dans la vidéo ci-contre, mise en ligne sur le site du Parti socialiste, on l'entend donc annoncer que «le Parti socialiste votera ce plan d'aide, mais ne vote pas pour le plan d'austérité». Et il ajoute: «Nous regrettons que ce plan soit si tardif et surtout qu'il soit conditionné à une cure d'austérité. La réduction des dépenses publiques va amener la Grèce à s'enfoncer dans un sillon de récession extrêmement long qui va entraîner un recul des recettes publiques et va perpétuer une situation tendue du budget grec. Nous préconisons plutôt une véritable politique de relance. Les milliards d'euros débloqués par l'Europe et par le FMI auraient été mieux utilisés à la relance de l'économie. Cela ne nous empêchera pas de voter la solidarité en précisant que c'est une curieuse conception de la solidarité que celle qui consiste à emprunter à 3 % pour prêter à 5 % à la Grèce, en se faisant des marges de bénéfices au passage. La solidarité européenne aurait mérité une meilleure illustration. Nous sommes inquiets sur les conséquences de cette récession économique en Grèce comme sur ces difficultés qui risquent d'être longues

  • La gêne socialiste est d'autant plus perceptible que celui qui en est à l'origine ne prend guère de précautions. Dans un entretien au Monde daté du 4 mai, Dominique Strauss-Kahn se dit en effet sans trop de scrupule «admiratif de l'extrême rigueur choisie par le gouvernement Papandréou qui a préféré de durs sacrifices immédiats pour sortir au plus vite son pays de la crise».

    Et d'ajouter, dans une terminologie qui, en France, a plus de résonance barriste que socialiste: «Il n'y avait pas d'autre moyen que de baisser drastiquement les coûts, puisque le défaut de compétitivité grecque est d'environ 25 %, ce qui est énorme. C'était ça ou les salaires des fonctionnaires et les retraités n'étaient plus payés le mois prochain.»

    Que les socialistes le veuillent ou non, Dominique Strauss-Kahn a donc endossé des habits de «Père-la-rigueur» dont il aura désormais la plus grande difficulté à se débarrasser. Et par la force des choses, cela risque de brouiller fortement les messages du Parti socialiste au cours des prochains mois. Car s'il tente de convaincre de la sincérité de son projet, très ancré à gauche notamment sur le plan fiscal, on aura tôt fait de l'interpeller sur ce point.

    Ce positionnement très anti-social – ou si l'on préfère ultra-libéral – de Dominique Strauss-Kahn n'est bien sûr pas pour surprendre. Ministre des finances du gouvernement de Lionel Jospin, c'est lui qui a le plus poussé à l'époque pour que les socialistes se convertissent à une politique blairiste ou sociale-libérale. Préconisant une baisse du taux supérieur de l'impôt sur le revenu au profit des très hauts revenus, défendant une très forte et choquante défiscalisation des stock-options ou encore la mise en œuvre accélérée de privatisation des services publics, il n'a jamais depuis fait amende honorable. Beaucoup de dirigeants socialistes ont fait, depuis, leur examen critique; lui non!

    Le choix de Dominique Strauss-Kahn de postuler à la fonction de directeur général du FMI, Nicolas Sarkozy lui faisant la courte échelle, et maintenant le rôle qu'il joue au sein de ce même FMI apparaissent donc non pas comme un reniement mais comme un aboutissement. Si l'ancien ministre socialiste des finances est à ce point prisé dans les milieux patronaux français – autant que l'était Nicolas Sarkozy quand, en 2007, il leur parlait de «rupture» –, cela a évidemment quelque chose à voir avec cela.

    Le Parti socialiste peut donc aujourd'hui faire mine d'oublier que le plan grec d'austérité, c'est, au moins en partie, le plan «DSK». Mais, tôt ou tard, le fameux principe léniniste finira par jouer: «Les faits sont têtus.» Alors, d'ici la prochaine élection présidentielle française, soit le Parti socialiste mettra une sourdine à ses actuelles professions de foi ancrées à gauche; soit il en arrivera à la conclusion que «DSK» s'est de lui-même disqualifié pour le représenter.

    La crise grecque aura peut-être cette seule vertu: elle va clarifier le débat au sein de la gauche française.

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