
Entretien avec Alain Touraine, sociologue

La Croix : le premier ministre grec vient d’annoncer un plan de rigueur d’une ampleur historique. Il a appelé les Grecs à faire preuve de « patriotisme » et de « conscience collective ». Est-ce pertinent d’en appeler au patriotisme ? Et si non, sur quels registres jouer pour faire accepter un plan aussi douloureux ?

Il faut évidemment qu’un gouvernement soit capable de convaincre le peuple qu’il y a des transformations à faire pour s’en sortir. Des politiques qui ont menti et qui se sont rendus coupables de corruption, ne sont pas très bien placés sur le plan moral pour demander cela. Les Grecs réagissent vivement et on les comprend. Il s’agit toutefois d’un cas extrême.

Y a t il des précédents où des peuples ont dû se serrer la ceinture de manière drastique ?


Aujourd’hui, la France est, elle aussi, menacée de mesures drastiques pour résorber l’ampleur des déficits…


Dans ce cas, la réforme des retraites va-t-elle être difficile à faire accepter ?

S’agissant de la crise financière, le gouvernement, qui s’apprête à demander des efforts conséquents aux Français, doit montrer qu’il prend des mesures pour condamner les responsables : ces financiers, qui ont causé la folie que l’on sait, il faut les punir, au sens propre du mot ! Et seulement après cela, il sera possible de demander des efforts au peuple.
S’agissant des retraites, la première chose à faire, c’est étendre l’assiette des cotisations à l’ensemble des revenus. Il faut agir par ordre de priorité : d’abord demander des efforts aux plus riches, puis aux autres, et enfin aux plus pauvres… Soit demander plus à ceux qui ont plus et moins à ceux qui ont moins. Hélas, je n’ai pas le sentiment que ce gouvernement soit prêt à tenir ce discours. Par conséquent, la logique voudrait qu’il affronte de grandes difficultés, voire qu’il ne passe pas le cap de 2012.

Vous dites que pour accepter des efforts et des sacrifices, ces derniers doivent apparaître justes ?


Certaines sociétés sont-elles mieux préparées que d’autres aux efforts collectifs ?

Même chose en Suède, qui avait un taux de produit national dépensé par l’État extrêmement élevé ; les Suédois ont réussi à le baisser de dix points, sans pour autant diminuer les prestations sociales. La Suède a pu accomplir cela car elle a une grande ouverture à l’économie internationale d’un côté, et un système de décisions qui est fondé sur le dialogue et la négociation, de l’autre. On peut faire passer beaucoup de choses quand on montre aux gens qu’ils ont un contrôle réel sur les politiques appliquées.
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Recueilli par Solenn DE ROYER![]() |
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