dimanche 2 novembre 2008

E comme Emergence d'un nouveau socialisme


Ségolène Royal l’a dit dans une interview au Parisien, la « social-démocratie est un modèle périmé ». Elle ajoute que l’on peut effectivement s’étonner que certains camarades en ont fait leur étendard pour le Congrès.


Revenons à la définition de la social-démocratie pour juger de la pertinence de cette affirmation. Il s'agit d'un un compromis entre le capital (les patrons) et le travail (les salariés) qui consentent, via des organisations syndicales puissantes du côté salarié, à trouver des accords profitables à tous et de ce fait, à privilégier, entre autres conséquences, le contrat sur le loi.


Il serait erroné de dire qu’en Scandinavie, qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne notamment, la social-démocratie n’a eu aucun succès. Bien au contraire, en Suède notamment, elle a permis de bâtir un Etat social fort que même les conser
vateurs ont des difficultés à démettre une fois revenus au pouvoir. Certains leçons restent d’ailleurs d’actualité. Mais la social-démocratie comme système global ne peut plus fonctionner. Et de facto, seuls trois pays sont dirigés par des sociaux-démocrates dans l'UE. L’ouverture renforcée des frontières et la concurrence subséquente entre les forces de travail du Nord et Sud a contribué à casser toutes les tentatives de compromis entre patronat et salariat. Les 10 points perdus par les salariés dans le rapport travail/capital au cours des vingt dernières années sont ainsi une illustration de cet échec de la social-démocratie.


La social-démocratie est un choix d’autant plus périmé qu’elle a toujours été impossible en France. Aujourd’hui peut-être plus que jamais. Pour une raison principale, regrettable mais indéniable : la faiblesse structurelle du monde syndical en France et, depuis la charte d’Amiens, la déconnexion totale entre le mouvement politique socialiste et les syndicats de salariés. Tout le contraire de la SPD, du Labour et même des démocrates américains.


Une fois ces constats faits, il faut en revanche sortir du socialisme mollasson et gestionnaire que nous avons tous, collectivement, incarné ces dernières années, depuis la deuxième période du gouvernement en Jospin en réalité (2000-2002). Il faut en sortir par le haut de deux manières : (i) promouvoir un socialisme émancipateur, comme nous avons eu l’occasion de le développer ici ; (ii) réinventer une doctrine socialiste ancrée sur l’idée d’un Etat préventif, anticipateur, radical quand il le faut, loin de son seul rôle de pompier que la droite actuellement, et une partie de la gauche également, lui font jouer.


Cette émergence d’une nouvelle doctrine socialiste, la motion E se propose de la défendre. Le combat idéologique doit être la principale mission de nos futurs dirigeants. Vincent Peillon le résume admirablement bien ici.


Le nouvel Etat du nouveau socialisme.


La motion E revendique ainsi la « lucidité radicale » sur notre système. De véritables révolutions (que Kant aurait appelées "coperniciennes") doivent être menées : au niveau fiscal ainsi que sur le mode de calcul des retraites où l’illisibilité totale du système est devenue l’une des principales inégalités. Un système devenu absurde où même certains, parmi les plus aisés, hésitent à avoir recours au bouclier fiscal tellement les différentes niches dans lesquelles ils se sont immiscés leur permettent, loin des discours alarmistes de la droite, de profiter du système. Une révolution démocratique doit également être mis en œuvre et aller jusqu’au bout. Dans le parti d’abord, si nous voulons être exemplaires, dans notre programme ensuite, pour l'appliquer à l'ensemble des Français.


Surtout, la place de l’Etat doit être redéfinie. Ni Leviathan ni pompier, il doit être à la fois toujours anticipateur, stratège puisqu’innovateur, décentralisé dans son mode de fonctionnement et recherchant toujours l’équité comme finalité de son action. Cet Etat doit ainsi ne pas se concevoir comme un simple « filet de sécurité » qui serve de réceptacle coûteux et souvent inefficace aux désordres du capitalisme. Si le capitalisme sous sa forme actuelle n’a pas explosé, c’est en grande partie parce que ses principaux acteurs savaient pouvoir se reposer sur un Etat qui panserait les plaies. La crise financière actuelle est d’ailleurs, en particulier en France, la dernière illustration archétypale de ce type de fonctionnement périmé de l’Etat.


On a effectivement dans ce contexte dépasser le cadre, souvent dénoncé à juste titre, de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits. On atteint cette fois-ci la prime à l’irresponsabilité, la prime au « vol » comme le dit Michel Rocard dans l’un de ses rares élans de lucidité radicale récents, des banquiers quand on leur distribue l’argent public pour renflouer leurs erreurs sans être en mesure de contrôler son utilité. Cette nouvelle définition de l’Etat, la motion E en est clairement porteuse. Elle s’inscrit d’ailleurs dans la philosophie politique développée par Ségolène Royal depuis la campagne présidentielle, qui consiste à réconcilier efficacité économique et justice sociale. Les travaux de nombreux économistes, notamment celui du Prix Nobel, Paul Krugman, démontrent à quel point cette conception doit être réhabilitée.


Soyons révolutionnaires! Demandons le possible!


La deuxième raison principale pour laquelle la social-démocratie a été et demeure totalement inadaptée à la France tient à la nature très particulière du capitalisme français. De manière générale, le capitalisme français s’est caractérisée par une concentration du pouvoir économique et financier dans une petite caste de familles. « Dans sa dynamique propre, le capitalisme français tend à privilégier l’héritage, qu’il soit direct (sous la forme de la transmission successorale) ou sociologique (sous la forme de la reproduction sociale par le diplôme et le statut) » écrivait en avril dernier Thomas Philippon, dans son ouvrage passionnant Le capitalisme des héritiers (Seuil, La République des idées).


Trouver des "compromis" avec un tel capitalisme est donc particulièrement malaisée. D'autant plus que cette captation de la richesse nationale s’est considérablement renforcée. En termes de salaires tout d’abord comme l’a
illustré la récente étude de Capital démontrant que les salaires des patrons français ont encore augmenté en 2007, pour atteindre 310 fois le SMIC (contre « seulement » 280 en 2006). Le mécanisme des golden parachutes, « moralisé » mais pas supprimé en vient même à rétribuer l’incompétence, comme cela a été le cas avec de nombreux chefs d’entreprises (Serge Tchuruk et Pat Russo par exemple, qui ont littéralement coulé Alcatel-Lucent).


En France en particulier, le capitalisme est en outre profondément interconnecté avec le pouvoir en place. Cela a été assez dit et écrit mais Bernard Arnault, Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère sont des amis personnels du chef de l’Etat. Ce n’est pas sans conséquences sur l’action politique qui est menée, au-delà de la stricte corruption : on notera, entre autres, l'impossibilité à mettre en œuvre l’action de groupe (class action) à la française et la non-attribution d’une quatrième licence de téléphonie mobile par exemple (ce qui se ferait au détriment de Bouygues).


Le capitalisme français cumule donc les pires défauts du libéralisme (les inégalités les plus criantes) et de l’intervention de l’Etat dans l’économie (la collusion). Dans le combat intellectuel à mener, il faut donc tenir compte de cette donne et se dire, que comme l’assume parfaitement Barack Obama dans sa campagne électorale, il n’y aura pas que des gagnants à la mise en œuvre de notre politique. Ne faire pas de cadeau à ceux qui nous ne en ferons pas. Ce n’est pas de la radicalité jusqu’au-boutiste, c’est avant tout de la lucidité réformiste.


Pour toutes ces raisons, la social-démocratie est bien un modèle aussi anachronique au niveau mondial qu'achronique (il n'a jamais et ne peut exister, en l'état actuel) au niveau français. C'est donc bien ce socialisme émancipateur renouvelé qu'il nous faut porter.



Compte tenu du contexte actuel, c'est donc une sorte de New Deal avec l'Etat et avec les forces sociales que nous proposons.

« Nous avons dû lutter contre les vieux ennemis de la paix – le monopole industriel et financier, la spéculation, la banque véreuse, l’antagonisme de classe, l’esprit de clan, le profiteur de guerre. Ils avaient commencé à considérer le gouvernement des Etats-Unis comme un simple appendice à leurs affaires privées. Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé. Jamais dans toute notre histoire ces forces n’ont été aussi unies contre un candidat qu’elles ne le sont aujourd’hui. Elles sont unanimes dans leur haine pour moi - et leur haine me fait plaisir ».


Quel horrible cryptomarxiste est auteur de cette phrase ?
Franklin Delano Roosevelt lors de son discours de candidature au Madison Square Garden, en 1936 (cité par Paul Krugman, L'Amérique que nous voulons, p. 76).

Et, si, en 2008, il n’était pas temps de tenir, et c’est doublement d’occurrence, un nouveau discours de Madison Square Garden ? Avec la motion E, commençons à l'écrire dès le 6 novembre au soir!


Jonathan

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