lundi 17 mai 2010

La victoire idéologique de Ségolène Royal. Car c'est bien de cela dont il s'agit

La victoire idéologique de Ségolène Royal

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Par pmichkine
le 15/05/2010 à 14:55, vu 3199 fois, 13 nombre de réactions
Info non vérifiée par la rédaction du Post.

Ségolène Royal à Poitiers le 12 Mars 2010.
© Razak / Désirs d'Avenir


D'une victoire idéologique de tous les concepts portés publiquement par Ségolène Royal, d'abord dans la conquête de l'investiture socialiste en 2006, puis lors de la campagne présidentielle en 2007 et enfin lors du Congrès du PS à Reims en 2008.

Lorsque l'on dresse ce tableau, on réalise à quel point l'impact personnel de l'ex-candidate présidentielle a fait littéralement bouger les lignes et le paysage politique français sur la base de quelques convictions solides qui constituent son ADN politique, des convictions imposées, parfois avec fracas dans le champs politique et l'opinion. Mais ces éclats ont permis de fracturer la barrière des idées reçues.

Le triptyque « Royal » c'est : l'ordre juste, la fraternité et la démocratie participative. La tentation est grande pour ses concurrents de gauche et ses adversaires de droite de s'approprier ces concepts très puissants parce que simples et profonds. Mais c'est oublier un peu vite la conscience citoyenne, la mémoire de l'opinion qui voit tout, entend tout, se souvient de tout et sait distinguer le bon grain de l'ivraie le moment venu, en l'occurrence la prochaine échéance présidentielle, en 2012.

1) L'ordre juste

A peine prononcée, la formule a fait mouche. Que ce soit à Arras (Pas-de-Calais), en février 2006, puis à Privas (Ardèche ), le 8 Mars 2006, Ségolène Royal plaide pour "un ordre juste".

Extraits du discours de Privas : "Il faut rétablir un ordre juste par le retour à la confiance, par le retour de repères clairs, par le bon fonctionnement des services publics, par des règles d'honnêteté (...) valables pour tous".
Une notion reprise à Bondy, le 30 Mai 2006 qui séduit immédiatement un électorat de gauche, lassé par le laxisme, et la république des bons sentiments. Mais l'expression, pourtant déjà présente dans les écrits de Ségolène Royal depuis longtemps (La vérité d'une femme-1996) provoqué une levée de boucliers dans l'appareil socialise (l'ordre juste, c'est juste le désordre déclare DSK). A droite, on reste perplexe et inquiet, l'ordre étant considéré comme l'un de ses fonds de commerce les plus efficaces.

En Octobre 2006, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intèrieur, contre attaque et tente de reprendre l'expression lors d'une visite en banlieue. Sans succés réel. La presse ironise trop. Il lâche prise.

3 ans après la présidentielle, l'ordre juste s'impose comme une évidence.
A tel point que, pour la campagne des européennes de 2009, Michel Barnier n'hésite pas à déclarer dans les Echos : « Je suis pour un ordre juste en Europe. Le monde ne sera pas stable s'il n'est pas juste. »

Mais pour l'heure personne au PS n'ose s'emparer de l'expression, qui identifie tant Ségolène Royal. Alors on biaise, on esquive, on tourne autour du pot. C'est assez comique... à l'image du programme des européennes, dans lequel les socialistes français s'engagent pour « une europe de juste échange ». L'ordre juste est le marqueur, la pierre angulaire de Ségolène Royal, celle qui correspond parfaitement au temps qui vient. Ordre juste économique, international, social environnemental. Difficile de dérober le joyau de la couronne.

2) La Fraternité

C'est probablement le « fric frac » le plus voyant et le plus ridicule.

La fraternité, c'est bien sur le meeting du Zénith, le 27 Septembre 2008. Ce stand up absolument formidable et moderne qui vaudra à Ségolène Royal des critiques acerbes, surtout du microcosme parisien mais aussi un concert de louanges et un impact profond avec le pays.
Elle ouvre ainsi une autre voie de réflexion politique et philosophique, prolongée par l'Université Populaire Participative sur le même thème et la sortie du livre de Régis Debray « Le moment fraternité » dont elle fait l'invité d'honneur de l'AG de Désirs d'avenir en Mars 2009.
Le 19 Septembre 2009, à Montpellier, lors de la Fete de la Fraternité, elle va plus loin encore sur l'idée de Fraternité.
Extraits :
« Oui, ce qui compte, c'est la constance, et le chemin dans lequel nous avançons. Ce qui compte, c'est notre fraternité, qui est plus grande que nous et qui va encore nous faire grandir et donner envie de nous rejoindre!
Qu'est-ce que c'est que la fraternité et comment peut-elle nous faire agir?
La fraternité « consiste à devenir frère et sœur avec tous ceux qui ne sont ni nos frères ni nos sœurs ».

J'y vois là une clé essentielle pour permettre une nouvelle conscience mondiale, ce nouveau siècle citoyen. La fraternité, c'est ce sentiment qui dépasse toutes les différences pour nous permettre de vivre ensemble. Dans un monde frappé par une crise morale sans précédent, un pessimisme latent, un « aquabonisme » quotidien, tant la vie est difficile, tant l'horizon semble bouché, dans les rapports familiaux, sociaux, se dégradent, dans un monde au cœur glacé, ou l'individualisme est la seule réponse que l'on peut trouver pour se protéger des coups qui pleuvent, lié à une politique injuste qui accorde tout à ceux qui ont tout et n'accorde rien à ceux qui n'ont déjà pas grand-chose. Liés aussi à une dégradation du lien républicain... dans ce monde qui ressemble de plus en plus à une jungle, où la loi du plus fort remplace peu à peu le progrès social, oui dans ce monde qui s'empoisonne, la fraternité doit agir comme un puissant contre poison » ( Montpellier, le 19 Septembre 2009 )

En moins de 2 ans, le concept de Fraternité est donc entré dans la vie de ce pays par la voix Royale . Et c'est immanquable. Après les ricanement, le rapt en bonne et due forme.

Le 31 décembre 2009, lors de ses vœux à la Nation, Nicolas Sarkozy conclut avec ces mots ( extraits ) "Je souhaite que 2010 soit l'année où nous redonnerons un sens au beau mot de fraternité qui est inscrit dans notre devise républicaine" Martine Aubry, lors de ses vœux, en appelle aussi à une « France plus fraternelle ». Elle utilise désormais dans la quasi-totalité de ses interventions, cette expression de France fraternelle. Une façon de s'emparer du concept en évitant le label « Royal » Une tactique qui n'échappe pas à la presse et qui souligne inlassablement, au fil des papiers, l'emprunt assez peu fraternel à Ségolène Royal.

3) la démocratie participative

Elle est présente dans toutes les prises de paroles publiques et privées et l'action politique nationale de Ségolène Royal dès le mois de décembre 2005. Elle est aussi l'un des leviers d'action dans sa région depuis 2004. Elle en fera le mode de campagne pour la présidentielle en 2007.

La méthode, trop moderne, trop audacieuse, est mal perçue par l'opinion, parce que mal relayée par les cadres du ps qui ne comprennent pas grand chose ou veulent surtout ne pas comprendre. Les médias, tiraillés entre la novation Royal et les freins, même invisible, que semble mettre le parti, couvriront mal cette étape pourtant décisive de la campagne socialiste.

Pourtant, c'est avec cette méthode que Barack Obama remportera la primaire aux USA.

Alors Ségolène Royal en avance d'une époque ? Assurément !

Dès 2006, elle pose les jalons en déclarant « Je ne prétend pas tout savoir [...] les citoyens sont les meilleurs experts de ce qu'ils vivent » ( Meeting de Rennes-Juillet 2006 ).
Les citoyens experts et l'intelligence collective vont devenir 2 leitmotiv de son discours politique. Un discours moqué, critiqué par les éléphants.

Pourtant, le 22 Septembre 2009, Martine Aubry entame à Angoulême son tour de France du projet socialiste sur le mode « participatif »... questions du public installé en cercle.

En décembre 2009, le PS entérine un "Contrat pour les régions" dans lequel on peut lire (extraits ) : "Parce que nous pensons que les citoyens sont les meilleurs experts de leur vie, nous voulons qu'ils soient co-auteurs des politiques publiques avec leurs élus et les acteurs de la démocratie sociale (syndicats, associations...)."

"Nous nous engageons à faire vivre nos régions de manière démocratique. Nous développerons la démocratie participative sous toutes ses formes. »
On croit rêver mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.


4) La rénovation : primaires ouvertes, alliances élargies

Mai 2007. entre les deux tours, Ségolène Royal tend la main, non pas aux électeurs de François Bayrou, mais à François Bayrou lui même. Le leader centriste hésite et finalement renonce. Nicolas Sarkozy est élu avec 2 millions de voix d'écarts. Il aurait suffi d'un million de voix pour changer le cours de l'histoire. Bayrou, partagé entre calcul politique personnel et lâcheté laisse passer le train de l'histoire.

En Janvier 2010, bis répétita. Ségolène Royal cette fois, tend à nouveau la main localement au Modem. François Bayrou regimbe. Le modem local s'allie en partie. Le président du Modem essuie un revers cuisant.

A deux reprises, au pied du mur, Bayrou démontre que derrière ses mots et ses valeurs se cache un maquignon qui compte avant tout la monnaie sonnante et trébuchante de ses intêrets.

Les alliances font couler beaucoup d'encre. Ségolène Royal est à nouveau clouée au pilori. Mais les grandes déclarations vertueuses nationales n'empêchent pas les petits arrangements locaux. Pour les municipales, en mars 2008, Martine Aubry passe un accord avec ses centristes locaux dès le premier tour.
A la Rochelle, lors de son discours d'ouverture, la première secrétaire délivre un message mi chèvre-mi chou sur le modem, loin, bien loin des incantations de Reims « "le Modem ne porte pas un projet de société compatible avec le nôtre" déclare-t-elle à la tribune avant de rejeter la proposition de Ségolène Royal de referendum sur le Modem, jugeant que c'est "au bureau national et au conseil national" de trancher » Idem pour les primaires élargies, portées par Ségolène Royal dans sa motion « Combattre et proposer » qui souhaite « ouvrir les portes et les fenêtres du parti socialiste, en faire un lieu de débat ouvert à tous les français ».

Lors de son discours d'ouverture à la Rochelle, le 25 aout 2009, Aubry s'empare du talisman de la rénovation en se prononçant pour ces primaires élargies et contre le non cumul des mandats.

Commentaire plein d'humour de Ségolène Royal après le discours « je suis ravie que les bonnes idées fassent enfin leur chemin ».

Aubry rénovatrice ? Peut être pour l'instant. Mais cette posture possède une limite simple : dans le cadre de primaires élargies, comment Martine Aubry pourra-t-elle incarner la modernité, la rénovation en étant la première secrétaire du parti encore jugé très archaique et rejeté, comme l'ump ? N'oublions pas l'abstention record aux régionales. Comment pourrait l'incarner face à une Ségolène Royal qui, si elle était candidate, pourrait se prévaloir de cette rénovation, qu'elle porte avec entêtement depuis 4 ans, et de cette modernité, ce dépassement du PS et des appareils politiques, cette autre façon de faire de la politique qu'elle incarne dans sa région concrètement, qu'il s'agisse de la social-écologie, de la démocratie participative ou des politiques de civilisations?

Dans une primaire élargie, Ségolène Royal serait à n'en pas douter, mieux armée que Martine Aubry dans l'incarnation du nouveau siècle.

5) Le pillage des mots

Si la tentative de s'emparer des concepts est évidente, elle passe parfois par le pillage des mots, qu'on tente de théoriser ensuite.

La bataille sur « la politique de civilisation » est à ce titre presque grotesque.
En Juin 2009, Ségolène Royal présente à la presse, à Paris, en présence d'Edgar Morin, l'université d'été qui doit se dérouler à Poitiers sur les 7 défis de la politique de civilisation. Depuis 2008, elle entretient des dialogues permanents avec le grand sociologue et la région finance en partie le centre Edgar Morin à Poitiers.
Lors de cette conférence de presse, elle déclare:
"C'est un rendez vous essentiel pour les années qui viennent. Il y sera notamment question des «alternatives théoriques au paradigme de la croissance», des «sept défis pour une politique de civilisation» et de «l'abîme ou la métamorphose : l'état de la planète, les enjeux et les prospectives. Ce sont les défis majeurs. C'est ca qui est important. L'important, ca n'est pas les chicayas du ps. L'important, ce sont les solutions et ces défis".

Le 27 Aout 2009, la veille de l'ouverture de La Rochelle, Martine Aubry, dans une tribune pour le journal « Le Monde » déclare « nous devons lancer une offensive de civilisation » La presse se moque de ce glissement sémantique... de la « politique » à « l'offensive », le landernau médiatique s'amuse. A plusieurs reprises, Ségolène Royal évoque cette politique de civilisation, pendant sa campagne des régionales, notamment lors du discours de la Rochelle, le 16 Janvier 2010.
A plusieurs reprises, elle évoque les 7 défis de la politique de civilisation et la nécessité d'ouvrir un autre chemin, une autre voie, qui est la pierre angulaire de la politique de civilisation telle que la définit Edgar Morin. Le 12 Février 2010, elle accueille la trentaine de chercheurs venus du monde entier pour l'installation à Poitiers du comité scientifique de l'institut de politique de civilisation, financée en partie par le Conseil Régional, à sa demande expresse. Edgar Morin est présent.

L'offensive de civilisation, elle, disparaît des discours de Martine Aubry, échaudée par les ricanement justifiés des journalistes mais, par un tour de passe passe miraculeux, « la politique de civilisation » revient dans le projet du PS présenté par Pierre Moscovici. Le même qui, lorsque Nicolas Sarkozy avait évoqué cette politique de civilisation le 31 Décembre 2007, déclarait « C'est un concept fumeux ».
Vérité de 2007 n'est plus vérité de 2010.

La politique de civilisation s'invite donc à nouveau à la table socialiste... et Martine Aubry de ressortir « son offensive de civilisation », le 28 Mars, lors de la convention du PS sur le projet. Un projet truffé d'expression royaliste à travers ses pages.
Qu'il s'agisse du « nouveau modèle économique et écologique », un concept sur lequel Ségolène Royal a fait toute sa campagne des régionales, dès Janvier 2010, ou de la société qui prend soin (la société du care), qui se rapproche étrangement de l'un des thèmes de campagne de la présidente de la Région Poitou charentes « la région qui prend soin » et qui évoque, inévitablement, l'un des thèmes de la présidentielle, notamment lors du meeting de Lille ou elle déclarait
"J'instaurerai une forme de gouvernance, de présidence qui prend soin des français, qui prend soin de vous ».

La morale de l'histoire est assez limpide.
Critiquée, jalousée, empêchée, Ségolène Royal est parvenue, en 4 ans, à imposer partiellement sa vision du monde, et les valeurs auxquelles elle croit et qu'elle cultive depuis 25 ans.
Partiellement parce que seule la victoire peut permettre de transformer des concepts, des idées et des valeurs en moyens réels pour le bien d'un pays, d'un continent et plus largement de la planète. Et ces valeurs, portées avec courage, souvent dans l'adversité, ces valeurs sont universelles mais elles ne peuvent pas se « transfuser » . parce qu'elles font intrinsèquement partie de celui ou celle qui les porte et elles ne sont crédibles que si elles s'accompagnent d'actes cohérents.

Alors, le PS peut bien parler de Fraternité. Il ne peut convaincre jusqu'au bout tant qu'il est incapable de faire la paix réelle entre ses différents leaders et particulièrement son ancienne canditate à la présidentielle. Nicolas Sarkozy peut bien parler d'ordre juste. Il ne peut convaincre en appliquant une politique aussi injuste. Martine Aubry peut bien parler de rénovation. Elle ne peut convaincre que si elle va jusqu'au bout, impose la rénovation aux barons qui font la pluie et le beau temps, accepte des primaires élargies et totalement transparentes. Tous peuvent bien évoquer la démocratie participative. Ils ne peuvent pas convaincre si elle n'est qu'un colifichet, un prétexte et pas un véritable outil de nouvelle gouvernance.

Seule la cohérence ouvre le chemin de la victoire. En traçant inlassablement son sillon, sans jamais dévier des valeurs auxquelles elle croit, Ségolène Royal la cohérente reste plus que jamais la mieux placée pour succéder à Nicolas Sarkozy en 2012.

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