lundi 8 mars 2010

Primaires de désignation ou primaires de confirmation?

Fabius, Royal, DSK, Aubry: la tête dans le guidon... des primaires

Au Parti socialiste, les régionales sont presque déjà de l’histoire ancienne. À tel point que depuis trois semaines, chacun a commencé à avancer ses pions en vue des primaires.



(dessin: Louison)

Les déclarations sur les primaires ouvertes du PS se suivent, mais ne se remarquent pas. Le nez dans le guidon des élections régionales, la plupart des médias ne les entendent pas. Pourtant, les grandes manœuvres ont bel et bien commencé. Et ces grandes manœuvres laissent présager des primaires très éloignées des objectifs initialement affichés. Elles devaient mettre fin à la destructrice bataille des égos et permettre le débat projet contre projet : dès le lendemain des régionales, elle sera inévitablement relancée ! Les primaires devaient permettre une large et véritable consultation du peuple de gauche : du côté de Solférino, on semble surtout vouloir faire de ce moment un plébiscite sinon rien.

Le premier à avancer ses pions ? Laurent Fabius, le 17 février dernier, lors de la matinale de France Inter . Alors que l’émission est sur le point de s’achever, que plus personne n’est vraiment concentré sur le plateau, l’ancien Premier ministre socialiste lâche une petite bombe : « Il est acquis maintenant que Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry et j’ajouterais, accessoirement moi-même, nous n’irons pas l’un contre l’autre. (…) C’est-à-dire qu’il y aura une unité aux primaires. (…) On a compris, parce qu’on n’est pas totalement stupides, que l’unité était quelque chose d’essentiel. » Une sortie plus préparée qu’il n’y paraît. Quelques jours plus tard, Laurent Fabius récidive en effet dans les colonnes du Bien public se « plagiant » quasiment mot pour mot, preuve que ses paroles n’ont pas dépassé sa pensée.

Les trois poids lourds du PS auraient-il scellé un pacte de non-agression pour les primaires à venir comme Laurent Fabius le laisse entendre ? Le 28 février, sur le plateau de l’émission Dimanche+ , la Première secrétaire est obligée de rectifier un peu le tir. Il s'agit de ne pas trop inquiéter ceux - ils sont nombreux - qui veulent participer aux primaires : « On n’a pas besoin de passer un accord : on a préparé ensemble un projet qu’on a présenté à nos camarades (lors du congrès de Reims, ndlr) et donc dans la logique de cela, bien évidemment, nous ne serons jamais en concurrence et l’on aura l’intelligence collective de choisir, parmi nous ou ailleurs, celui ou celle qui est le mieux placé pour redonner l’espoir aux Français. » Traduction : soyez rassurés, il ne s’agit pas de stratégie bassement politicienne, il y a eu par le passé rassemblement sur le fond, il ne pourrait en être autrement à l’avenir. De quoi faire rire jaune les Ségolènistes qui dénoncent depuis Reims un attelage qui repose sur tout sauf sur le fond...

Depuis, Laurent Fabius a apparemment décidé de mettre ses pas dans ceux de Martine Aubry. Comme ce dimanche, sur Europe 1 : « Il n’y a pas besoin de pacte. Nous sommes suffisamment — et j’espère beaucoup d’autres — intelligents, sensés, pour comprendre que l’une des grandes raisons pour lesquelles la gauche a perdu toutes ces années, c’est la division. Donc, soyons unis et commençons nous-mêmes par donner l’exemple. » Mais même lorsque Laurent Fabius tente de rassurer, il balance dans la foulée une petite phrase qui a de quoi inquiéter ceux qui se verraient bien « candidater » à la candidature. Interrogé sur l’utilité d’organiser des primaires avec en toile de fond une telle configuration, il réplique : « Il y a plusieurs sortes de primaires : vous pouvez avoir des primaires de choix total, vous pouvez avoir des primaires de confirmation » ! En somme, les primaires à la sauce Fabius, plus que d’offrir un véritable choix aux sympathisants de gauche semblent avoir pour objectif de mettre en scène l'avènement d'un candidat quasi-désigné en amont…

Voilà qui ne devrait pas rassurer le camp de la présidente sortante de Poitou-Charentes qui craint, plus que jamais, un retour du fameux Tout Sauf Ségolène. L’intéressée a d’ailleurs pris les devants. Dans un article du Monde Magazine du 20 février, elle montre les muscles et prévient : « Je ne me laisserai pas marcher dessus. Si les primaires ne sont pas correctes, s'il y a de la triche, je reprendrai ma liberté. Il pourrait y avoir des recompositions… » Est-ce à dire que Ségolène Royal pourrait tenter l’aventure hors du PS ? Difficilement envisageable. Il s’agit surtout de s'assurer que les primaires se déroulent dans une transparence qui n’a pas toujours eu cours lors des précédents scrutins internes. En tout cas, celui qu’elle cite comme son premier et plus fidèle soutien, Jean-Louis Bianco, se refuse à interpréter cette phrase comme une véritable menace de chevauchée solitaire. Interrogé par Marianne2, il reconnaît tout de même que les déclarations de Laurent Fabius l’ont « surpris » : « Ça paraît bizarre de dire que d’ores et déjà il y a un accord : ça me semble très prématuré. Les Français ne doivent pas être passionnés par le fait que X, Y ou Z soit candidat ».

Mais même si tout cela lui « semble très prématuré », notre homme a déjà commencé, lui aussi, à réfléchir à la forme que devraient prendre les primaires. Il faut, selon lui, que la liste des votants soit établie et placée sous la surveillance d’une « autorité morale incontestable ». Faut-il comme l’avance une note interne du PS rendue public par Le Monde mi-février (voir encadré ci-dessous) que ne soient candidats que ceux qui ont reçu le parrainage d’un certain nombre d’élus ? Jean-Louis Bianco estime que ce système est « contraire à l’esprit des primaires » et préférerait, si parrainage il devait y avoir, que ne soit nécessaire qu’« un seuil extrêmement bas » de signatures pour participer à la désignation. Ou comment multiplier les candidatures quand Fabius, Aubry et DSK, eux, veulent en limiter le nombre… Enfin, le député des Alpes-de-Haute-Provence est « d’accord avec François Hollande » : « Les primaires doivent se tenir le plus tôt possible ». À l’en croire, il ne faut surtout pas voir là une volonté de barrer la route à Dominique Strauss-Kahn : « Je ne comprends pas cet argument. Son mandat au FMI se termine après 2012. S’il doit quitter ses fonctions pour participer aux primaires, je ne vois pas pourquoi ce serait plus problématique à une date ou à une autre. »

Jean-Louis Bianco le rappelle. Il n’y a en effet pas que Ségolène Royal qui veut en être face à la troïka Aubry-Fabius-DSK. François Hollande, lui aussi, fait parti des prétendants même si d’après Profession politique « [son] entourage proche doute de [sa] capacité à arracher l’investiture »… Il y a aussi des quadras comme Manuel Valls qui s’était déclaré dès le mois de juin 2009. Il faut aussi compter sur Pierre Moscovoci qui, lui, en tant que quinqua se présente comme « le candidat de la rénovation dans l’expérience ».

D’ailleurs, derrière les déclarations d'Aubry et Fabius, Moscovici voit plus une « volonté de stabilité » qu’une « volonté de rénovation » : « Ces déclarations ont un mérite : la franchise, explique-t-il à Marianne2, Mais ça peut être aussi un jeu de dupes et offrir l'image d'un cartel conservateur. Il faut avec ces primaires jouer le jeu de la démocratie, il faut de la diversité générationnelle. Tout dépend de ce qu'ils attendent de ces primaires : des primaires de désignation ou des primaires de confirmation ? » Pierre Moscovici envisage aujourd’hui deux scénarios : « Premier scénario : aucune personnalité ne se dégage, il y a la nécessité d’avoir des primaires avec un vote populaire. Deuxième scénario : quelqu’un se dégage. Il faudra retirer les candidatures de témoignages. » Lui qui affirme pourtant ne pas être « de nature à se décourager » se dit « prêt à le faire »...

Des primaires par et exclusivement pour le PS ?

Pierre Moscovici sera-t-il la première victime de « l’accord-qui-n’en-est-pas-vraiment-un » entre Aubry, Fabius et Strauss-Kahn ? Ce qui est sûr, c’est que c’est l’idée même de primaires de toute la gauche qui en prend un sérieux coup. À l’origine, toutes les formations « satellites » du PS étaient invitées à participer au grand raout. MRC et PRG en seront, ils l’ont dit. Mais quid du PG et du PCF ? Leurs dirigeants n’étaient déjà pas très enthousiastes à l’idée d’y participer. Avec cet accord qui se dessine, ils estimeront sans doute ne vraiment plus y avoir aucun intérêt. À quoi bon, se demanderont-ils, puisqu’il est possible que l’on se dirige vers des primaires de confirmation plus que de désignation ? Pour servir de faire-valoir au candidat estampillé PS ? Pour lui servir de sparring-partner avant qu'il n'aille en découdre avec son adversaire de droite ? On comprend mieux pourquoi Marie-George Buffet s’est récemment déclarée pas opposée à l’idée avancée par Jean-Luc Mélenchon de présenter un candidat estampillé Front de gauche pour l’élection de 2012.

Reste le cas des écologistes. Daniel Cohn-Bendit, lui, s’est dit prêt à plusieurs reprises à sacrifier une candidature Europe écologie à la présidentielle contre un minimum de 50 circonscriptions octroyées par le PS pour les législatives qui suivront. Plus récemment, il a expliqué qu’Europe écologie pouvait participer aux primaires ouvertes du PS. Deux stratégies totalement différentes. Mais l’une comme l’autre ne trouvent pas grâce aux yeux des Verts qui ne veulent surtout pas se priver d’une candidature écologiste (Duflot, Hulot…) dans la course à l’Elysée…

Reste aussi à comprendre ce que Laurent Fabius a, lui, à gagner dans ces grandes manœuvres. « Il sait qu’il n’est pas en situation pour être président, explique un cacique socialiste, Mais il n’a pas renoncé à être un acteur public et il se murmure qu’il se verrait bien au Quai d’Orsay ou à la présidence du Sénat… » Pour Fabius, ce serait donc un « accord » qui ne dit pas son nom, mais un « accord » gagnant-gagnant !

Primaires: une usine à gaz à cinq millions d'électeurs

Rien n'est officiellement arrêté. À commencer par la date de ces primaires ouvertes, même s’il semble de plus en plus évident que le processus de désignation du candidat de la gauche devrait se tenir entre la fin du premier semestre 2011 et octobre de la même année. Pour le reste, Le Monde dévoilait, il y a quelques jours, une note interne du PS qui n’a pas valeur d’Evangile mais préfigure ce que pourraient être les primaires.

  • Qui pourrait voter ?

« Tout citoyen, écrit Jean-Michel Normand du Monde, inscrit sur les listes électorales pourra y participer après avoir signé "une déclaration sur l'honneur" affirmant son adhésion "aux valeurs de gauche" et s'être acquitté d'une participation minimale de 1 euro. De son côté, le Mouvement des jeunes socialistes souhaite que l'âge minimum soit abaissé à 16 ans. Au total, 45 000 bureaux de vote seraient constitués afin de mobiliser de quatre à cinq millions de personnes. »

  • Qui pourrait se présenter ?

« La note, explique le journaliste, évoque une formule de parrainage "légère". Pour tenter sa chance, il faudrait recevoir le soutien de 5 % des parlementaires, de 5 % des membres du conseil national, de 5 % des conseillers généraux ou régionaux ou encore de 5 % des maires PS de villes de plus de 10 000 habitants. Trois tours seraient organisés, dont un premier éliminant les candidats à moins de 10 %. »

Lundi 8 Mars 2010

Gérald Andrieu - Marianne

Lu 1102 fois

Source :

http://www.marianne2.fr

Aucun commentaire: